Marie Holzman : « Ilham Toti, l’homme du dialogue avec Pékin sur les Ouïgours »

Marie Holzman : « Ilham Toti, l’homme du dialogue avec Pékin sur les Ouïgours »

Asialyst, 2 Novembre 2016

University professor, blogger, and member of the Muslim Uighur minority, Ilham Tohti pauses before a classroom lecture in Beijing on June 12, 2010. Perhaps the top Uighur activist within China, Tohti disappeared into police custody for six weeks last year after Uighur resentment burst forth last July in China's northwest Xinjiang province, in Central Asia, when Uighur rioters savagely attacked Han Chinese in the regional capital Urumqi, leaving nearly 200 people dead and up to 1,700 injured, according to official figures. AFP PHOTO/Frederic J. BROWN / AFP PHOTO / FREDERIC J. BROWN

Certains l’appellent déjà le « Mandela chinois ». Le 23 septembre 2014, l’intellectuel ouïgour modéré Ilham Tohti était condamné à la prison à vie pour « séparatisme » par un tribunal en Chine. Le 11 octobre dernier, il a reçu le prix Martin Ennals qui récompense les défenseurs des droits de l’homme et qui est soutenu par les grandes ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International. Une reconnaissance mondiale pour ce professeur de l’université des Minorités à Pékin, qui a œuvré toute sa vie pour une coexistence harmonieuse entre les Hans, l’ethnie majoritaire en Chine à 92 %, et les Ouïgours, cette minorité musulmane de langue turque vivant au Xinjiang, dans le Nord-Ouest chinois.

C’est aussi un prix essentiel pour éviter l’oubli a un défenseur des droits de l’homme qui n’a jamais prôné l’indépendance du Xinjiang. Parmi ceux qui ont rendu possible cette récompense figure Marie Holzman, sinologue et personnalité majeure en France dans l’aide aux dissidents chinois depuis 1989. En juin 2016, elle a cofondé l’ITI (Ilham Tohti Initiative) avec l’ONG allemande Verdaute Völker (« Les peuples menacés ») et des Ouïgours en exil. Son but était d’obtenir le prix Sakharov pour l’intellectuel ouïgour, ainsi que sa libération et de faire connaître et diffuser son message. Même si Tohti n’a pas obtenu ce prix attribué par le Parlement européen, Marie Holzman salue une réussite de ce combat contre l’oubli. Entretien.

Entretien

Sinologue, Marie Holzman est l’auteur de nombreux livres et traductions sur la Chine contemporaine, dont L’empire des bas-fonds de Liao Yiwu, Wei Jingsheng, un Chinois inflexible (avec Bernard Debord, Bleu de Chine, 2005) ou Lin Xiling, l’indomptable (Bayard, 1998).Arrivée pour la première fois en Chine en 1975 où elle séjourne une année, elle y retourne en 1977 en tant que journaliste free-lance au bureau de l’Agence France-Presse à Pékin. Elle assiste au premier mouvement démocratique dans la capitale de 1978 à 79. C’est là qu’elle fait la connaissance de tous les futurs grands dissidents chinois. A l’époque, elle écrit aussi sous pseudonyme des articles pour Libération. Elle rentre en France en 1980. Son premier livre, Avec les Chinois, sort chez Flammarion en 1981. Par la suite, elle enseigne la société contemporaine chinoise à l’Université Paris 7 comme chargée de cours, puis comme professeure associée. Aujourd’hui, elle continue à donner un grand nombre de conférences sur la Chine et écrit pour la revue Politique internationale dont elle appartient au comité éditorial.

Depuis 1990, elle est présidente de Solidarité Chine, une association créée en juin 1989 pour venir en aide tant aux exilés fuyant la répression du mouvement de Tian’anmen qu’aux démocrates restés en Chine, et aussi pour perpétuer la mémoire de ce drame. Elle se donne alors pour mission de « faire entendre tous les dissidents chinois ». C’est le propos de son livre intitulé Ecrits édifiants et curieux sur la Chine du XXIème siècle (avec Chen Yan) : « Il faut faire entendre la voix de ceux qui adoptent une démarche pro-démocratie, pacifique et rationnelle, pour que l’Occident comprenne que les Chinois ne sont pas tous fascinés par le business ou la falsification des œuvres d’art », insiste-t-elle. Depuis plus de 25 ans, elle accueille la majorité des dissidents chinois qui transitent ou restent en France, leur fournit un accompagnement pour reconstruire leur vie dans l’Hexagone et pour traduire leurs moindres démarches administratives. « Je ne sais jamais dire non ! Ils ont besoin de moi, je suis là ! »

Avec Ilham Tohti, Marie Holzman n’en est pas à son coup d’essai : elle a milité avec succès pour l’attribution du prix Sakharov aux dissidents Wei Jingsheng et Hu Jia.

La sinologue Marie Holzman.
Qui est Ilham Toti ?
Marie Holzman : Il avait 20 ans en 1989, il a donc connu la décennie d’ouverture des années 1980. Au moment de Tian’anmen, il n’était pas à Pékin car il étudiait dans le nord-est de la Chine à l’université du Liaoning. Mais il a forcément eu des échos à la fois des grandes manifestations de la capitale, de la chute du mur de Berlin puis de l’effondrement de l’URSS. Pour lui, l’effondrement du système communiste en Chine n’était pas nécessairement impensable. Cela dit, ayant fait des études d’économie, étant devenu professeur à l’Université des Minorités de Pékin, il a été rapidement connu et reconnu à la fois par ses collègues et par ses étudiants. Il a eu une première passe d’arme avec les autorités en 1994 lorsqu’il a démontré que les chiffres officiels sur la situation au Xinjiang étaient faux, tant sur les matières premières, que les revenus et les investissements. Ses professeurs lui ont alors dit de faire attention, de ne pas attaquer directement les autorités et de se tenir dans une zone plus prudente. Mais il était né sous une étoile de rébellion. Il ne pouvait pas accepter d’être un mouton bêlant.