Rabiya Kadeer : «Les Ouïghours attendent de la Turquie le même traitement que celui des réfugiés syriens»
Zaman France, 10 Juillet 2016
Cette petite femme qui se plie en deux pour saluer l’assistance n’est autre qu’une légende vivante. Rabiya Kadeer alias Rabiya Ana, «mère Rabiya», est avec «l’agha» (littéralement «chef », marque de respect dans la culture turque) Moustafa Djemilev (Mustafa Abdülcemil Kirimoglu, en turc), le leader des Tatars de Crimée, l’une des deux grandes figures historiques du monde turcophone.
Kadeer incarne la lutte de cette ethnie musulmane turcophone qui vit dans le Turkestan Oriental, le Xinjiang pour les Chinois. Onze années d’exil, six ans de prison, cinq enfants embastillés, n’ont en rien diminué la combativité de la présidente du Congrès mondial ouïghour.
A l’occasion de la conférence Un Peuple opprimé, les Ouïghours, organisée conjointement par l’Association des Ouïghours de France et l’association Objectif 21 à la mairie du 18e arrondissement, Zaman France est allé à sa rencontre parmi d’autres convives tels que Thupten Gyatso, le président de la communauté tibétaine de France, Ursula Gauthier, la journaliste du Nouvel Obs qui avait été expulsée pour avoir écrit un article sur la répression contre les Ouïghours et André Gattolin, sénateur EELV des Hauts-de-Seine.
On connaît tous les pressions récurrentes qui s’exercent sur les Ouïghours en Chine. Qu’en a-t-il été lors du Ramadan ?
Nous fêtons aujourd’hui le 3e jour de l’Aïd el-Fitr. Ce que les Ouïghours ont subi pendant le mois de Ramadan résume leur sort malheureux : les autorités chinoises ont surveillé chaque foyer, elles ont multiplié les brimades contre les vieux et les jeunes qui voulaient prier. De plus, elles ont saisi les passeports des Ouïghours pour ne pas qu’ils se rendent à l’étranger.
A l’intérieur même du Turkestan, il leur est interdit de passer d’un village à un autre car ils portent des sortes de bracelets électroniques qui avertissent tout de suite l’autorité locale. Les Ouïghours sont considérés comme des terroristes alors qu’ils sont en réalité eux-mêmes victimes du terrorisme. Ils ne peuvent plus pratiquer leur langue, leur religion, leur culture ; la fortune des plus aisés et leurs terres sont confisquées.
Vous incarnez vous-même cette souffrance. Vous vivez en exil depuis 11 ans, vous avez passé 6 ans en prison et vos enfants sont quasiment retenus en otage…
Leur situation est malheureuse. Mon mari est resté en prison pendant 11 ans, deux de mes enfants sont en prison depuis des années. Trois autres sont en résidence surveillée.
Au total, ma famille accumule 40 années de prison. Vous retrouvez à peu près les mêmes proportions au sein de toutes les familles ouïghoures. Malheureusement, beaucoup d’autres déplorent des morts, nous, grâce à Dieu, nous n’avons pas connu ce sort fatal.
Vous êtes interdite d’entrée en Turquie mais l’État turc essaie de vous apporter un soutien en catimini pour ne pas froisser la Chine. Comment se manifeste ce soutien ?
Je ne vais pas me prononcer sur l’aide de la Turquie. Mais nous demandons une chose : que les autorités turques accordent rapidement des passeports et un droit à la domiciliation aux 20 000 Ouïghours qui y vivent.
Quand il n’y a pas de travail, pas d’éducation, pas de logement, cela nourrit une exaspération qui peut conduire vers des situations extrêmes.
Le président Erdogan a promis la nationalité turque aux migrants syriens. Vous a-t-on parler d’une mesure identique ?
Justement, les Ouïghours attendent de la Turquie le même traitement que celui réservé aux réfugiés syriens.
Ce que l’on donne à deux millions de personnes, ne peut-on pas l’octroyer à 20 000 personnes ? En attendant, ils peuvent au moins permettre aux petits Ouïghours d’aller à l’école comme les petits Syriens.
La situation empire d’après ce que vous dites. Quelle est la solution pour permettre à votre peuple de vivre dignement ?
Les anciens évoquaient une voie médiane, un processus d’autonomisation mais aujourd’hui, les Chinois sont installés dans notre région. L’idée d’indépendance s’est désormais installée dans les esprits.