Travail forcé au Xinjiang : des grandes marques de prêt-à-porter visées par une plainte en France
La Libération, 09.04.2021
L’article ci-dessous a été publié par La Libération.
Laurence Defranoux – «Recel de crime de réduction en servitude aggravée, de crime de traite des êtres humains en bande organisée, de crime de génocide et de crime contre l’humanité». Les mots pèsent lourd dans la plainte déposée au tribunal judiciaire de Paris contre des multinationales de l’habillement par un collectif représenté par le cabinet de l’avocat William Bourdon.
Depuis plus d’un an, les Ouïghours et autres peuples turciques du Xinjiang, les ONG de défense des droits humains et du droit du travail, des journalistes et des chercheurs alertent sur les pratiques massives de travail forcé dans cette région de l’extrême ouest de la Chine, où est cultivé 85 % du coton chinois, soit 20 % de la production mondiale. Cela concerne aussi bien le ramassage du coton que les conditions de travail dans les centaines d’usines de textile qui tournent à plein régime.
«Complices de graves crimes»
L’ONG Sherpa, le collectif Ethique sur l’étiquette, l’Institut ouïghour d’Europe et une Ouïghoure, témoin direct de l’embrigadement forcé de la population, ont décidé de soumettre à la justice française des éléments sur les liens commerciaux entretenus par des enseignes et distributeurs du secteur textile au Xinjiang et de «permettre ainsi aux juridictions françaises de se prononcer sur leur éventuelle responsabilité pénale». Le collectif souhaite mettre fin à ce qu’il considère comme une impunité des marques, qui se déchargent sur leurs sous-traitants de leur responsabilité en termes de droits humains.
D’après les plaignants, qui disent se fonder sur des informations publiques, «les sociétés Inditex (qui détient notamment les marques Zara, Bershka, Pull and Bear, Massimo Dutti), Uniqlo, SMCP (qui détient les marques Sandro, Maje, Claudie Pierlot, De Fursac) et Skechers ainsi que de nombreuses autres sociétés transnationales, continueraient de sous-traiter une partie de leur production [au Xinjiang] ou de commercialiser des biens utilisant du coton produit dans la région, se rendant complices des graves crimes qui y sont perpétrés». Les éléments recueillis leur semblent suffisants pour qu’une enquête soit ouverte.
De fait, beaucoup d’entreprises du secteur sont susceptibles, à une étape ou à une autre de leur production, de profiter, consciemment ou non, de la politique coercitive menée par Pékin envers les peuples turciques, que ce soit au Xinjiang ou dans des usines du reste de la Chine où des travailleurs ouïghours sont envoyés. L’espagnol Inditex, accusé, comme le japonais Uniqlo, de se fournir en fil et en tissu au Xinjiang, a assuré en décembre à Libération «ne pas avoir de liens avec des entreprises chinoises identifiées comme pouvant utiliser du travail forcé» et souligné que le «groupe ne cautionne quelque forme de travail forcé».
Boycott en Chine
Cette plainte devrait être la première d’une série lancée dans plusieurs pays européens et, selon les termes du communiqué de presse, «s’inscrit dans le plaidoyer mené de longue date par nos organisations pour lutter contre l’impunité des sociétés transnationales et l’accès des victimes à la justice et à la réparation». Elle intervient dans un contexte tendu avec la Chine sur la question des droits de l’homme au Xinjiang, émaillé de sanctions prises par l’Europe contre des cadres chinois impliqués dans la persécution menée au Xinjiang et, en retour, de sanctions édictées par la Chine contre des chercheurs et des élus.
Les marques Uniqlo, H & M, Nike ou Adidas, qui s’étaient engagées en 2020 à ne plus utiliser du coton du Xinjiang, sont elles-mêmes la cible, depuis quelques jours, de campagnes de boycott en Chine. La question est par ailleurs au cœur des débats au sujet de la ratification de l’accord d’investissement signé fin décembre entre la Chine et l’Union européenne.
Vendredi, l’Elysée a rappelé ses «attentes» «sur la ratification des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail, notamment sur le travail forcé, au vu des très grandes inquiétudes et des préoccupations de la France, mais aussi de toute l’opinion publique européenne sur la situation des Ouïghours et la situation plus globale du Xinjiang».