Chine : nouveaux soupçons de massacre contre de prétendus terroristes ouïgours

Le Monde, 1 Septembre 2013

Que s’est-il passé le 20 août aux environs de Kargilik, un comté de l’ancienne route de la soie dans la préfecture de Kashgar, ou une vingtaine de Ouïgours auraient été tués par les forces spéciales de la police armée lors d’un raid anti-terroriste ?

Alors que les incidents graves se multiplient dans la Région autonome ouïgoure du Xinjiang depuis quelques mois, ils sont minimisés, voire totalement étouffés, par les autorités chinoises, mais restent systématiquement attribués à des terroristes et des séparatistes islamiques. Les « attentats » qui avaient, par exemple, eu lieu à la veille des Jeux olympiques à Kashgar, en 2008, eurent droit à des comptes rendus très circonstanciés par la police locale – même si un très grand nombre de doutes demeurent sur ce qu’il s’est réellement passé. Les 8,5 millions de Ouïgours du Xinjiang sont turcophones et pratiquent, pour ceux qui ne sont pas athées, un islam de tradition soufie.

« SIX COUTEAUX ET DES MACHETTES »

Le soi-disant raid anti-terroriste mené dans les environs Kargilik (Yecheng en chinois) n’a pour l’instant reçu aucune confirmation claire de la part des autorités, si ce n’est un article dans le Quotidien de Kashgar, le 28 août, sur les funérailles d’un policier chinois de 32 ans, Yan Xiaofei, mort de « manière héroïque » lors d’un raid contre une « bande de terroristes » le 20 août dernier (le SCMP de Hongkong en fait le compte rendu ici).

De même, la mort par balles de plusieurs dizaines de manifestants le 28 juin dans le district de Hanerik (qui dépend de la ville de Hotan) n’a toujours pas été rapportée par la presse chinoise. Seul le clash de Turpan, quasiment au même moment, fin juin, qui avait conduit à la mort de 35 personnes (des attaquants ouïgours, ainsi que des policiers et du personnel administratif), avait bénéficié d’une couverture médiatique en chinois, confinée toutefois à la version très officielle de l’agence Chine nouvelle.

Dans le cas de Kargilik, le service en ouïgour de Radio Free Asia (RFA), la radio financée par le Congrès américain, a été le premier à donner l’alerte, le 25 août, en se basant sur les témoignages d’officiels ouïgours locaux : le raid des forces spéciales chinoises a eu lieu près d’une maison du district de Yilkiqi (comté de Kargilik), en bordure du désert, et visait des hommes rassemblés la nuit pour la prière. La police aurait mené des opérations de surveillance depuis une semaine et fait des reconnaissances par « hélicoptère », a expliqué à RFA le chef adjoint du district. Selon un résident de Yilkiqi, les corps auraient été ensuite enterrés sur une colline dans un compté voisin. Les personnes interrogées rapportent que « six couteaux et des machettes » ont été retrouvés sur place par la police, ce qui, bien-sûr, relativise la supposée menace terroriste du rassemblement.

« ACTIVITÉS RELIGIEUSES ILLÉGALES »

Dans une dépêche datée de jeudi 29 août, le service en ouïgour de RFA a identifié cinq des supposés terroristes. Le groupe, dont personne n’est en mesure de déterminer la nature des activités terroristes, s’est fait surprendre en raison de la désertion, cette nuit-là, de celui qui était censé faire le guet, ont expliqué les cadres locaux ouïgours interrogés par RFA. Le massacre de Yilkiqi intervient dans un climat extrêmement tendu au Xinjiang. Ces deux dernières années, les autorités chinoises ont intensifié leur campagne contre les « activités religieuses illégales », une notion extrêmement floue. Autant dire que celle-ci est très mal perçue par la population : les perquisitions à domiciles incessantes, les actions contre le port du voile intégrale pour les femmes (le voile ouïgour est une bure ajourée) ou de la barbe par les hommes et, enfin, les arrestations abusives, sont visiblement en train de pousser à bout les Ouïgours, qui ont une longue tradition de résistance armée contre ce qu’ils considèrent comme l’occupant chinois.

Les conflits sont désormais extrêmement fréquents, ainsi que les actes de représailles menés par des Ouïgours contre des collaborateurs – le plus souvent du personnel administratif ou de police auxiliaire ouïgour –, mais aussi un imam, égorgé le 14 août à Turpan pour avoir été particulièrement zélé dans son soutien aux autorités.

Les organisations de la diaspora ouïgoure en exil ont dénoncé une nouvelle fois, après l’incident de Yilkiqi, l’absence d’informations fiables sur ce qui s’est réellement passé, ainsi que l’amalgame entretenu par les Chinois entre des « terroristes » et des rassemblements pas forcément violents. « Voici un nouveau raid chinois contre de soi-disants terroristes qui apporte la mort, la douleur et la tristesse au Turkestan oriental. Il semble que les autorités chinoises n’ont d’autre solution à la question ouïgoure que la violence d’Etat », a déclaré dans un communiqué Alim Seytoff, le president du Uyghur Human Rights Project à Washington.

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/08/30/nouveaux-soupcons-de-massacre-policier-au-xinjiang-contre-de-pretendus-terroristes-ouigours_3469031_3216.html