Entretien avec Rebiya Kadeer

Web Basis, 9 Septembre 2011
Par SYLVIE LASSERRE

La leader ouïghoure veut contraindre Pékin à accorder l’autodétermination à son peuple, minorité musulmane turcophone de la province chinoise du Xinjiang. Rencontre.

TEXTE SYLVIE LASSERRE * ILLUSTRATION CHAU
Sources et documents de cette rencontre dans Asies+

Elle arrive tout juste de Washington, tombe de fatigue, et m’annonce qu’elle ne pourra m’accorder que le temps du déjeuner. Alors que nous marchons dans les rues de Genève, je m’étonne de voir cette petite femme de 63 ans, longues nattes et doppa, la traditionnelle calotte carrée des Ouïghours, la taille élégamment prise dans une veste de cuir vert pomme, suivie par une dizaine d’hommes en costume qui lui obéissent au doigt et à l’oeil. C’est le monde à l’envers car les Ouïghours ont la réputation d’être de sacrés « machos ».

Rebiya Kadeer, présidente du Congrès mondial des Ouïghours depuis 2006, semble mener son entourage à la baguette. Nous sommes reçus par une famille ouïghoure dans un modeste appartement des faubourgs de la ville suisse. Au menu : polo, mantu et chay — mouton au cumin, raviolis de viandes ou de légumes et thé. « 100% Uyghur, me précise-t-elle, not Chinese! ». Et me voilà soudain transportée en Asie centrale. Née en 1948 dans une fratrie de huit frères et soeurs, Rebiya Kadeer grandit dans les montagnes de l’Altai, aux confins de la Chine, de la Russie et de la Mongolie. Contrainte à l’exil à deux reprises alors que la Chine s’enlise dans le « Grand bond en avant », sa famille est déportée à Aksou, ancienne ville-oasis de la route de la Soie, sur les bords du désert de Taklamakan. Mariée à 15 ans avec un fonctionnaire ouïghour travaillant pour une banque d’État, elle a six enfants de ce premier mariage. Dénoncée par son entourage pour avoir fabriqué des vêtements destinés au marché noir, elle quitte le foyer pour permettre à son époux de conserver son emploi. Le divorce prononcé, elle ouvre une blanchisserie et se lance dans le commerce à Aksou, Urumqi (la capitale de la province du Xinjiang) mais aussi Canton et Shanghai.

Terroriste selon la Chine

En 1978, elle épouse en secondes noces l’activiste Sidik Rouzi (dont elle aura cinq enfants). Ils s’installent à Urumqi. Profitant de l’ouverture de la Chine à l’économie de marché, elle développe ses activités. En 1987, elle crée le « Bazar des femmes » qu’elle transforme en centre commercial cinq ans plus tard. Ses affaires deviennent florissantes avec l’essor du commerce frontalier entre la Chine et les républiques anciennement soviétiques d’Asie centrale. En 1993, le PC chinois lui confie pour une durée de cinq ans un mandat de député du Xinjiang à l’Assemblée nationale populaire. Engagée dans des activités de microcrédit destinées à sa communauté, elle est également vice-présidente de la Fédération des industries de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang et de l’Association des femmes entrepreneurs. Elle s’enrichit considérablement : en 1995, elle est la septième fortune de Chine, selon le magazine économique américain Forbes.

Lorsqu’en 1997, à la tribune de l’Assemblée, elle dénonce les brutalités commises contre des Ouïghours par l’armée et la police antiémeutes lors des « incidents de Ghulja », son ascension est stoppée net. En 1999, elle est arrêtée à Urumqi et condamnée à huit années de réclusion. Libérée en 2005, Rebiya Kadeer vit aujourd’hui en exil aux États-Unis. Après le 11 septembre 2001, le Congrès mondial des Ouïghours qu’elle préside depuis 2006 et qui est financé par le Département d’État américain, a été qualifié de « terroriste » par les autorités chinoises.

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La suite de Face-à-Face, Rebiya Kadeer : « Nous vivons dans un immense camp de concentration » est à lire dans Asies N°2 / Septembre-Novembre 2011

* Journaliste indépendante à Paris. Elle est l’auteure de Voyage au pays des Ouïghours – Turkestan chinois, début du XXIe siècle  (Cartouche, 2010).

http://webasies.com/rebiya_kadeer/